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Quand la CGT dénonçait l’Union européenne du Capital et les illusions de l’Europe sociale, c’était en 1989

janvier 2014, par Saint Martin d’Hères

Dette-prétexte, austérité en faveur du patronat, fiscalité à deux vitesses, casse de l’appareil productif, compétitivité pour légitimer la casse des acquis sociaux, l’Europe comme prétexte et instrument de cette œuvre de démolition : on croirait ce discours sorti d’un dirigeant syndical ou politique en 2014, pourtant c’était Henri Krasucki, c’était en 1989 !

C’est dire la pertinence de la grille d’analyse marxiste. C’est dire aussi le chemin parcouru par nos organisations de classe, CGT et PCF, depuis l’époque où ils combattaient l’Europe du capital, dénonçaient les illusions de l’Europe sociale.

En 1995, la CGT quittait l’internationaliste FSM pour rejoindre l’européiste CES en 2000.

En 2005, Bernard Thibault suivait Lord John Monks, secrétaire de la CES, et appelait à voter « Oui » à la Constitution européenne. En 2011, il signait un texte avec plusieurs syndicalistes européens pour appeler l’Union européenne à renouer avec l’esprit du « Traité de Rome » et du « Traité de Maastricht » !

Ici, nous vous proposons un extrait du rapport d’Henri Krasucki, alors secrétaire de la GGT, au 43 ème Congrès de la CGT.

Il choisit, en plein débat sur le Traité de Maastricht de commencer son rapport par une dénonciation claire et nette de l’Europe du capital, dénonciation des illusions de l’Europe sociale maintenue par certains à gauche, et certains syndicats.

Une vision prophétique de la France que nous connaissons aujourd’hui. A l’époque, la presse bourgeoisie titrait : « la CGT en guerre contre l’Europe ». Hélas, cela ne risque pas d’arriver aujourd’hui !

La France et l’Europe qu’ils veulent

Où en sommes-nous en France ?

Dans la mise en œuvre de sa stratégie, la grande bourgeoisie française ne cesse d’aller plus loin dans tous les domaines du recul social et national déjà mis en évidence par notre précédent congrès.

Si elle procède à des adaptations, qui tiennent compte de l’évolution de la crise, ses objectifs demeurent fondamentalement les mêmes. Une seule chose progresse, et de quelle façon, ce sont les profits. Mais c’est bien le but recherché.

C’est un fait universellement reconnu, mis en lumière par un récent article de la Vie Française qui accumule les superlatifs : « explosion des profits », « fantastiques profits », « véritable feu d’artifice », « 1988, année de tous les profits ».

Pendant ce temps, les travailleurs et la France subissent de plein fouet les conséquences des choix imposés par le grand capital et les gouvernements successifs. Pour les salariés, pour la masse des gens, c’est l’austérité atteignant pour certains l’intolérable.

Pour le pays, c’est le déclin, terme que constatent avec aigreur les plus hautes autorités de l’État mais que confirment les réalités profondes.

Qu’est aujourd’hui la France, parmi les puissances industrielles et mondiales au regard de ce qu’elle était il y a seulement 8, 10 ou 15 ans ?

Oui c’est bien l’austérité et le déclin, contreparties des choix opérés en faveur du profit et des facilités accordées au capital. Oui, il en résulte tout un ensemble d’agressions sociales dont le projet de document d’orientation donne un large aperçu.

On nous oppose ce que les uns appellent « embellie » et le Premier ministre « convalescence ». Il est vrai qu’on peut faire état d’un peu de croissance et d’un peu d’investissement d’ailleurs très sélectif et très orienté. Mais à quel prix !

Ces résultats trompeurs et qui risquent d’être fort éphémères ont été acquis contre l’emploi, contre le pouvoir d’achat, ils sont le fruit du recul social.

Durant ces années, cette politique a été menée sous des habillages successifs : assainissement, modernisation, puis, adaptation aux contraintes extérieures.

L’Europe et la France du recul social

Aujourd’hui, c’est au nom de l’Europe que patronat et gouvernement la poursuivent. Mais cette fois il s’agit plus seulement d’un prétexte.

C’est un objectif concret, qui se met pratiquement en place, et interfère de plus en plus sur la réalité économique et sociale de notre pays.

Comment dissocier, par exemple, ce qui se fait au niveau de la fiscalité contre les petits gens et les salariés au bénéfice du capital français, de l’ « harmonisation fiscale » projetée au niveau européen ?

En diminuant de moitié l’impôt des plus riches, en majorant de 5 000 F par an en moyenne la contribution d’un couple salarié, en assujettissant à l’impôt 3 millions de Français aujourd’hui exonérés, c’est bien aux exigences de la grande bourgeoisie français que répondent celles de la construction européenne.

L’Europe de la jungle

C’est donc bien de la place de la France dans l’Europe que le grand capital veut nous faire, et que mettent en place les gouvernements successifs, qu’il est question aujourd’hui.

Il y a bien du monde pour présenter l’Europe comme un projet généreux, en agitant des idées qui ne nous sont en rien indifférentes, comme « progrès », « amitié entre les peuples », « solidarité internationale ». Mais ce qu’ils font, c’est tout autre chose !

Ce qu’ils veulent créer en vérité, c’est une zone de douze pays, délimitant un véritable terrain de chasse pour grands fauves. Ils pourront s’y affronter avec une férocité dont la valse des OPA nous donne quelque idée.

Dans cette lutte sans merci, des entreprises, des villes, des régions, peut-être des pays seront sacrifiés. Mais au-delà des contradictions, des rivalités, des affrontements entre capitalistes, dans cette jungle où régnera la loi du plus fort, le gibier ce sera avant tout les salariés.

Nous ne sommes plus seuls à dire qu’impératifs économiques, compétitivité sont autant de prétextes pour de bons apôtres qui ne pensent qu’à liquider au nom de l’Europe des conquêtes sociales qu’ils n’ont jamais digérées.

Il s’agit bel et bien d’éliminer tout ce qui peut entraver la course à des profits toujours plus grands, dont les capitalistes ne sont jamais rassasiés.

L’Europe du fric

Cette Europe, c’est celle du fric, où les multi-nationales régneraient en maîtres. C’est aussi celle où dominerait la RFA, tandis que les USA et le Japon auront les moyens d’y faire prévaloir leur puissance industrielle et financière.

Le Premier ministre de la France Michel Rocard affirme crûment cette réalité lorsqu’il déclare au grand journal ouest-allemand Spiegel : « Construire l’Europe c’est également reconnaître que l’Allemagne est la puissance économique dominante ».

Pour être carré, le propos n’en est pas moins scandaleux. C’est admettre que la France de cette Europe-là serait un pays économiquement dominé, amputant gravement de surcroît, sa souveraineté nationale sur l’autel des institutions européennes.

Et dans une optique semblable, quelle industrie pour notre pays ? Quels services publics ? Quelle recherche ? Quelle culture ?

Une industrie mutilée, repliée sur quelques créneaux, vassale des multi-nationales, avec comme conséquence un reflux massif des emplois industriels, une pénétration sans cesse accrue de notre marché intérieur.

Des services publics détournés de leur vocation naturelle qui est d’être au service des gens et de leurs besoins, démantelés, reconvertis en fonction des intérêts du grand capital. Les statuts annihilés, l’emploi public décimé.

La recherche réduite à la portion congrue, asservie à la rentabilité financière, à la recherche du profit. La culture bradée, la création soumise à la concurrence sauvage des sous-produits américains, par des mesures comme celle qui fait disparaître les quotas de 60 % d’œuvres européennes sur les télévisions des pays d’Europe.

La CGT est partie prenante à la lutte des créateurs, des artistes et des autres professions concernées pour l’identité culturelle de la France et de chacun des pays européens.

D’autres questions, toutes aussi graves sont posées. Quelle agriculture quand on sait que la disparition de la moitié des exploitations familiales est la note à payer pour les dix années à venir ?

Quel environnement lorsqu’on décrète la libre circulation des déchets toxiques, et qu’avec la suppression ou l’abaissement des normes on vise à la disparition des faibles et insuffisantes protections nationales contre la pollution ?

Et quel enseignement quand l’harmonisation fiscale européenne exige une diminution massive des dépenses publiques au moment où, comme le préconise la CGT, il faudrait pour combler les retards existants, construire des centaines d’établissements, embaucher près de 500 000 agents enseignants et non-enseignants, revaloriser les salaires de façon substantielle ?

Quelles régions enfin, alors qu’elles se trouvent de plus en plus directement confrontées au processus communautaire, et à ses conséquences dramatiques ?

Ce n’est pas en implantant les Schtroumpfs à la place des complexes sidérurgiques, en hébergeant, ici ou là, les Vikings, Astérix ou Mickey, en caressant près de 300 projets du même genre, qu’on résoudra les problèmes de l’emploi régional, et qu’on maintiendra la France comme grande puissance industrielle !

Pour la CGT, la place des régions est essentielle, parce qu’elles sont une cible et un moyen de l’intégration.

Mais aussi parce qu’en dépit des dégâts subis, la lutte peut permettre de défendre leurs propres atouts pour l’emploi et les activités utiles. Elle est une nécessité et peut aboutir à des succès.

Ces questions, chacun se les pose de plus en plus, à l’expérience de ce qu’il vit, de ce qu’il voit se produire quotidiennement. Mais pour comprendre ce qui se passe au quotidien, il faut avoir aussi clairement que possible ce qu’ils visent vraiment.

Le patronat annonce la couleur

Le grand projet du patronat français et européen, celui qui progresse dans les faits, jour après jour, c’est une France et une Europe du recul social. On a beaucoup subi, et l’inquiétude grandit devant ce qui s’annonce. Mais, ce qui se met en place est pire ce que s’imaginent la plupart de ceux qui s’inquiètent.

« Ne soyons pas naifs », nous dit le président du CNPF, M.Périgot. Et lui annonce la couleur, sans s’embarrasser de formules : « On va enfin dépoussiérer la société française, nous dit-il, la débarrasser de ses scories ».

« Quelle est la finalité de l’Europe, en matière sociale ? », ajoute-t-il, et la réponse est « à mon sens, c’est la flexibilité ». La grande erreur nous avertit M.Périgot serait de « rêver de vivre tous comme ceux qui vivent le mieux ».

Et devant ses pairs, aux assises du CNPF, il déclare : « Unie, l’Europe devra définir un nouveau type de rapports sociaux fondé sur la flexibilité, le respect des différences, l’épanouissement des aspirations individuelles.

Personne ne saurait gagner la bataille de l’Europe en préservant frileusement les acquis d’un monde aujourd’hui révolu. »

Les commentaires sont inutiles. M.Périgot dit tout, dans son langage de patron. L’Europe qu’ils veulent vraiment nous faire, c’est celle-là. La France qu’ils veulent, c’est celle qui accepte ce fantastique effondrement social.

Que valent alors les discours lénifiants que nous attendons par ailleurs ? Le Président de la République François Mitterrand affirme que « l’Europe sera sociale ou ne sera pas » et déclare qu’il « ne veut pas d’une Europe dans laquelle il y aurait une régression ».

M.Giscard d’Estaing se répand à son habitude en déclarations de bonnes intentions, tandis que le Président de l’Assemblée nationale, M.Laurent Fabius, affirme vouloir « l’Europe sociale vers le haut ».

C’est fou ce que les bonnes intentions peuvent s’afficher par les temps qui courent !

En réalité, c’est tout le contraire qui se fait, et tous le savent d’autant mieux que cela résulte des décisions sur lesquelles s’accordent les chefs d’Etats et de gouvernements. C’est M.Périgot qui dit la vérité !

Ce qui est voulu, décidé, et déjà en route en France même et dans chacun des douze pays de la Communauté, c’est bel et bien la mise en concurrence des travailleurs de ces pays entre eux pour aligner vers le bas leurs conditions sociales.

La « libre circulation » de la main d’oeuvre est un instrument de cette concurrence. Elle fait peser des menaces de discriminations aggravées pour les travailleurs, notamment pour les travailleurs immigrés originaires de pays extérieurs à la Communauté.

L’objectif : la destruction des acquis sociaux

Comme nous avons souvent eu l’occasion de le dire, et comme le souligne le projet de document d’orientation, c’est ce que les salariés ont conquis de plus avantageux par l’action syndicale dans le cadre national, qui est menacé de destruction.

Pour la France, par exemple, plus d’élus dans les CHSCT, la sécurité de chacun abandonnée au bon vouloir du patron, alors que se multiplient les accidents de travail. Plus d’interventions ou de contrôle des CE notamment en ce qui concerne l’introduction de nouvelles technologies et leurs conséquences pour les travailleurs.

Des statuts publics vidés de leur contenu, une protection sociale laminée, la disparition d’un tiers des lits d’hôpitaux. Individualisation de la formation professionnelle, élaboration d’une classification des emplois du niveau de CAP dans une série de branches industrielles, préfigurant une « Convention collective européenne » dont on peut imaginer le contenu !

Ce ne sont que quelques exemples. Ils illustrent la nature des choix opérés et que nous voyons dès maintenant se concrétiser dans des projets précis à la veille d’approbation par les instances européennes.

Des choix qui, en même temps, dictent les mesures qu’on applique déjà dans notre pays. Il suffit de voir ce que nous prépare le budget pour 1990, pour s’en convaincre. C’est le premier budget que l’on peut qualifier d’essentiellement européen.

Il aligne étroitement l’évolution de l’économie française sur les « performances » allemandes en matière monétaire et en matière de prix. Il met en pratique l’ouverture tous azimuts dans la perspective de la mise en place du grand marché communautaire.

Le résultat, c’est une réduction massive d’impôts évaluée à 15 milliards environ, pour le capital. Et pour compenser, une nouvelle réduction des dépenses socialement utiles atteignent particulièrement le secteur public où la rigueur salariale régnera plus que jamais, et où une nouvelle réduction d’effectifs de l’ordre de 1,5 % est prévue.

Au-delà des déclarations « sociales », c’est cela qui compte. C’est à cela qu’on a affaire et contre quoi il faut lutter. Il faut une réplique au niveau de l’agression dont les travailleurs sont l’objet en France et dans l’ensemble des pays de la Communauté.

Les responsabilités des syndicats

La Confédération européenne des syndicats (CES) fait un constat de situation qui n’est pas différent du nôtre. Ce qui manque, c’est l’action. Elle critique mais se prête à la mise en œuvre de l’intégration telle que l’imposent capitalistes et gouvernements.