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Élections constituantes en Tunisie : les classes dominantes et l’impérialisme gardent la main en l’absence d’alternative portée par une organisation révolutionnaire

novembre 2011, par Saint Martin d’Hères

Les élections à l’Assemblée constituante du 23 octobre ont marqué la fin de ce qui apparaît désormais comme une révolution avortée. Ou plutôt une révolution confisquée, transformée en contre-révolution par les classes dominantes économiques et politiques, qui ont gardé leur pouvoir intact – dans la structure économique et l’appareil d’État – de la transition de la dictature au régime dit démocratique.

Les classes dominantes ont su habilement porter la lutte sur le terrain qu’elles maîtrisent parfaitement, celui du jeu électoral et des combinaisons politiciennes reposant sur un pluralisme de façade avec une vie politique faussée par l’influence du capital privé, national et international, et des médias dans le déroulement du scrutin.

La laïcité au cœur du débat politique : une vraie question dévoyée

De façon subtile, le débat politique a été focalisé sur la question de la laïcité, qui préoccupe légitimement les franges les plus progressistes, et potentiellement révolutionnairesde la sociététunisienne.

Néanmoins, en contribuant à alimenter le « péril islamiste », réel et plus insidieux qu’il ne le semble de prime abord, ce mouvement médiatique et politique a renforcé le parti islamiste auprès des couches populaires et paysannes en attente d’ordre et de paix sociale, après l’atmosphère répressive de la dictature et un an d’un processus révolutionnaire agité.

Cette campagne, qui s’est polarisée entre forces islamistes et laïques, a par ailleurs dissimulé les points convergents qui l’emportent très largement si on compare les programmes économiques et sociaux du parti islamiste Ennahda et des principaux partis laïques de centre-gauche comme Ettakatol, le Parti démocrate progressiste (PDP) ou le Congès pour la République (CPR). Avant le scrutin, Ennahda s’était déjà rapproché de certains de ces partis tel le CPR.

Le triomphe d’Ennahda ou la victoire des forces de la classe dominante dans son ensemble ?

Plus que le détail du scrutin, c’est finalement la victoire des forces du système qui compte, sur la base d’un (social)-libéralisme affiché et d’une allégeance réaffirmée à l’impérialisme occidental.

Ennahda s’est chargé dès l’annonce des résultats partiels de rassurer les investisseurs, par la voix du directeur du bureau exécutif du parti, Abdelhamid Jlassi : « Nous voulons rassurer nos partenaires : nous espérons très rapidement revenir à la stabilité et à des conditions favorables à l’investissement ».

Le ministre des Finances, Jalou Ayed, assurait lui que le score d’Ennahda n’avait pas de quoi « refroidir » les investisseurs. Il devrait rester aux commandes du ministère.

Le consensus sur le fond a même été avoué par un autre membre du comité exécutif d’Ennahda qui après le scrutin pouvaient affirmer qu’une coalition gouvernementale était possible avec le CPR et Ettakatol car « leurs positions ne sont pas éloignées des nôtres ».

Ennahda réalise un raz-de-marée électoral avec 89 sièges, qui s’ils ne lui suffisent pas pour former le gouvernement provisoire seul, lui permettent d’être toutefois maître du jeu.

Derrière, on retrouve deux formations aux profils assez similaires, Ettakatol (20 sièges) et le CPR (29 sièges) qui tous deux se revendiquent d’une filiation social-démocrate, affirmant en fait une ligne économique social-libérale s’efforçant de rassurer les investisseurs étrangers sur leur absence totale de dimension subversive.

Le Parti démocrate progressiste (PDP), longtemps favori pour prendre la tête du « camp laïque » n’obtient que 17 sièges, empêtré dans ses contradictions, victime de son opportunisme éhonté et de son absence de positionnement clair, avec un grand écart entre son origine de formation socialisante et sa dérive ouverte vers le libéralisme droitier.

La puissance des médias et du capital est frappante dans les scores étonnants réalisés par certaines forces, ouvertement libérales et droitières, comme les partis d’anciens ministres de Ben Ali, Initiative et Afek Tounes (respectivement 5 et 4 sièges).

Et surtout par le score réalisé par le parti Pétition populaire du milliardaire Hechmi Hamdi, ancien islamiste collaborant totalement avec Ben Ali et son régime, qui obtient, par son seul contrôle de sa chaîne télévisée al Mustaquilla, 26 sièges.

Le triomphe d’Ennahda pose la question d’un péril islamiste en Tunisie, plus insidieux qu’il n’y paraît. Rachid Ghannouchi, son dirigeant historique, revendique sciemment le modèle turc de l’AKP, éclairant pour comprendre les ambitions d’Ennahda et plus largement des milieux économiques et politiques nationaux et internationaux qui ont rendu son triomphe possible.

Le modèle turc d’Ennahda : libéralisme économique, ordre social et islamisation rampante

Depuis huit ans, l’AKP conduit une islamisation rampante mais très prudente de la société turque. Le parti proclame officiellement son respect pour le principe de laïcité de l’État turc, avançant très prudemment pour vider le principe de sa substance, mais reculant à chaque mouvement de résistance rencontré.

L’AKP produit en fait, par son organisation de masse, présente dans chaque ville, village, quartier, épaulée par le contrôle de l’appareil étatique, financée par les milieux économiques islamistes, une islamisation « par le bas » de la société turque, imposant autant qu’elle entretient les valeurs d’un islamisme teinté d’un fort conservatisme social.

Sur le plan économique, l’AKP mène une politique libérale louée par le FMI, attirant les investisseurs étrangers, allemands, français ou américains, sur la base d’une politique de libéralisation, de privatisation, de contraction des salaires et de coupes dans les acquis sociaux.

Voilà le modèle d’Ennahda qui inspire aujourd’hui confiance aux investisseurs internationaux : l’ordre social avec un consensus sur une base religieuse et conservatrice allié à au libéralisme économique le plus échevelé.

Que les forces laïques, prétendument de gauche comme Ettakatol ou CPR soient aujourd’hui prêtes à former un gouvernement même provisoire avec un parti aussi peu progressiste qu’Ennahda est révélateur.

Les masques tombent et le principe de laïcité qui a servi à ces partis pour proposer de larges rassemblements et capter des voix révèle toute sa nature instrumentale pour ces partis prêts aujourd’hui à le brader pour quelques postes gouvernementaux.

Comment un tel mouvement en Tunisie, qui a pris un temps de cours la bourgeoisie nationale et l’impérialisme occidental, un mouvement potentiellement révolutionnaire peut-il aujourd’hui se retrouver privé de toute représentation dans un scrutin plébiscitant les forces conservatrices et réactionnaires ?

Sans organisation révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire

Aucune organisation de masse n’a pu émerger de façon autonome du mouvement révolutionnaire, comme cela a pu être le cas en Amérique latine.

Des diverses actions de lutte issues de la base de l’UGTT, ayant joué un rôle décisif dans le processus révolutionnaire, aucune organisation stable n’a pu émerger, même si l’hypothèse d’un « Parti du travail » lié à la base de l’UGTT, sur des bases floues, plus trade-unionistes que révolutionnaires, a pu être envisagé.

Même dans cette perspective, comme celle présente dans certains pays d’Amérique latine par exemple, l’existence du Parti communiste serait une nécessité historique, pour donner une perspective au mouvement révolutionnaire.

L’absence de toute organisation progressiste issue du mouvement rend encore plus impérieuse la présence d’un Parti communiste fort et indépendant des forces dominantes.

L’absence d’organisation révolutionnaire, et en premier lieu de Parti communiste, explique pour grande partie cette situation chaotique.

L’absence d’une alternative révolutionnaire incarnée par une organisation de masse et de classe, offrant une perspective socialiste à la jeunesse et à la classe ouvrière tunisienne et les moyens de l’atteindre pèse au-delà du scrutin sur l’avenir d’une révolution tunisienne aujourd’hui récupérée et confisquée par les forces dominantes.

Le spectre du Parti communiste tunisien

Il convient de rappeler que le Parti communiste tunisien a été liquidé par sa propre direction en 1993 qui a décidé de fonder alors le parti Ettajdid, sur la base du renoncement au communisme et de l’adoption d’une idéologie réformiste et d’une organisation social-démocrate, malgré la persistance de fortes oppositions internes.

Depuis, Ettajdid n’a eu de cesse de glisser vers la droite, elle a joué le rôle de caution de gauche au régime de Ben Ali, multiplié les appels à des grands fronts de gauche laïques, allant des sociaux-démocrates de gauche à des formations libérales de centre-droit.

La dernière en date, la dernière coalition présentée en 2011, le Pôle démocratique moderniste (PDM), rassemblement allant du Parti socialiste de gauche à la Voie du centre a réalisé un résultat médiocre, avec seulement 5 sièges partagés entre les représentants des cinq composantes fondatrices.

Les contradictions de l’ancien groupuscule « pro-albanais » du PCOT occupant l’espace vacant laissé par le PCT

Face à cette trahison historique, un parti groupusculaire a occupé l’espace vacant et a récupéré ce que peuvent représenterle nom et les symboles communistes en Tunisie pour prospérer de façon inédite pour une formation de ce type.

Le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) est une formation d’origine maoïste fondée comme une scission pro-albanaise en 1986. Petit groupe clandestin, le PCOT a profité de la double trahison de la direction du PCT, liquidant le parti et collaborant objectivement avec Ben Ali pour se doter d’un petit prestige conquis dans la résistance clandestine à la dictature, en particulier dans certaines couches estudiantines et intellectuelles.

Sorti de la clandestinité début 2011, le PCOT ne repose pas sur une organisation de masse et ne bénéficie que d’une influence très limitée sur le mouvement ouvrier, mais il occupe seul de fait un créneau politique, celui d’une force proposant un discours révolutionnaire, avec la propriété du nom et des symboles communistes.

C’est ce qui explique son score, certes modeste en absolu, mais inédit pour une formation de ce type et significatif sur le plan symbolique : 3 sièges, obtenu au moins autant sur l’activisme local réel des militants du PCOT que sur ce que représente et porte le nom de communistes en Tunisie, dans un contexte potentiellement révolutionnaire.

Le dernier mot n’est pas encore dit sur cette organisation qui a noué des relations très étroites avec le parti islamiste Ennahda pendant la dictature, qui se tient hors du mouvement communiste international – préférant une coordination internationale de groupuscules hoxhistes – et qui ces derniers temps a beaucoup édulcoré son programme, axé désormais sur la redistribution des richesses plutôt que sur la révolution socialiste.

Des voix de plus en plus insistantes appellent par ailleurs à l’intérieur du parti, comme cela fut visible au dernier congrès du PCOT en juillet, à l’abandon du nom et des symboles communistes pour ratisser plus large.

Quelle que soit la voie qu’empruntera ce parti dans le futur, il n’incarne que de façon très imparfaite le rôle que devrait jouer un Parti communiste en Tunisie : impulser et orienter les luttes à partir d’une organisation de masse et de classe, implantée dans les lieux de travail et de vie, pour la rupture révolutionnaire avec le système capitaliste, l’alternative socialiste se construisant d’abord dans les luttes.

La responsabilité des liquidateurs du communisme en Tunisie est immense dans le désarroi dans lequel sont plongées désormais la classe ouvrière et les forces progressistes en Tunisie, privées de toute perspective révolutionnaire, et de l’organisation participant à la rendre concrète dans son travail militant quotidien.

Article AC pour http://solidarite-internationale-pc...